À l'orée de la ville

Mardi 4 novembre

Dominique n’allait pas bien aujourd’hui. C’est le moment pénible où les bébés attrapent tout ce qui passe et où on a la certitude d’avoir perdu pour toujours le contrôle de sa vie. Les papas ne se rasent plus — les mamans non plus d’ailleurs —, les maisons ressemblent à des zones sinistrées, les cercles d’amis fondent comme neige au soleil, les congélateurs sont remplis de purées et de pizzas. C’est l’enfer. Même les chiens vont se cacher dans leur panier en attendant que ça passe.

Elle est venue prendre un café avec moi. Je lui ai conseillé de retourner chez elle pour faire la sieste, mais elle a refusé. Apparemment, elle avait surtout besoin de parler à un adulte. J’ai essayé de la consoler un peu.

— Profite des moments où ils sont calmes pour te reposer.

— Ils sont cinq, Anne : ils ne sont JAMAIS calmes. Je donnerais un rein pour qu’ils dorment une demi-heure en même temps. Et ne me dis pas que ça passe vite. Je peux te dire que ça passe vite seulement quand c’est fini.

Qu’est-ce que je peux répondre à ça ? Rien bien sûr. Alors, je l’ai laissée se vider le cœur. À la fin, je l’ai envoyée à la maison en la chargeant de pots de sauce à spaghetti, de compote de pommes et de galettes. Elle n’était pas plus heureuse, mais elle venait de se débarrasser d’un souper.

J’ai suggéré à mon collègue de faire quelques heures supplémentaires. Il m’a répondu qu’il était complètement débordé et qu’il ne savait plus où donner de la plume. Alors je l’ai laissé se vider le cœur.