Les anges sont vaniteux – chapitre 60

Vendredi 14 novembre

Notre grande fille a sept ans aujourd’hui. Seigneur ! Il me semble qu’hier à peine nous étions couchés tous les trois à l’hôpital, James plein de reconnaissance et moi épuisée, mais heureuse. Une bouffée d’amour et une sensation de toute-puissance m’ont envahie. Rien ni personne ne m’empêcherait de protéger ce petit être contre les méchants. C’est incroyable ce sentiment. J’en avais entendu parler, mais je n’aurais jamais pensé que c’était aussi fort.

Je ressens la même chose avec mes protégés. Chaque fois, c’est comme si on me confiait la mission la plus importante de tous les temps.

La protection d'une mère

J’ai toujours voulu avoir des d’enfants, mais pas avec n’importe qui. Quand j’ai rencontré James, j’ai su que c’était le bon. J’avais envie de passer ma vie avec lui, alors j’ai très vite parlé mariage.

On paressait au lit :

— James…

— Anne…

— Tu sais que je suis catholique.

— Ça veut dire que tu es en état de péché mortel.

Les hommes compliquent tout.

— Ça veut aussi dire qu’il est hors de question que je passe ma vie accotée avec toi, même si je t’aime.

James s’est appuyé sur un coude.

— Es-tu en train de me demander en mariage ?

— Jamais de la vie, je connais les convenances. Je suis en train de te demander si tu as l’intention de me demander en mariage.

Il s’est mis à genoux dans le lit.

— Anne Bélanger, voulez-vous me faire l’honneur de devenir madame James McNeil ?

— Juste pour me faire plaisir ?

— Pas du tout. Je suis Irlandais, je n’ai pas peur de l’engagement. Non, j’ai envie de faire de toi une femme honnête.

Il a reçu un oreiller par la tête, puis ma réponse.romantic-739161

Pour moi, le mariage est plus qu’une question de tradition. Je suis croyante, mais j’ai jeté par-dessus l’épaule la notion de péché que je trouve complètement dépassée. J’avais envie de la robe blanche, de l’église, de la bouquetière et surtout de la plus grande forme d’engagement possible. Je voulais parler de James en disant « mon mari ».

Son mari

Lorsqu’il a appris la nouvelle, Papa a été égal à lui-même. C’est un père de l’ancien temps : peu de paroles et un cœur grand comme des portes de grange. Il a serré la main de James et lui a offert des félicitations ampoulées, mais ça paraissait qu’il était heureux. Jamais papa ne se serait permis de me critiquer, mais je sais que ça l’a soulagé qu’on se marie. À ses yeux, le concubinage représente un péché et ça lui pesait de penser que sa fille unique vivait de la sorte.

Ce mariage rendait maman folle de joie. Elle avait enfin adopté James après un très mauvais départ.  Elle trouvait que je me remettais en couple trop tôt après ma rupture avec Joël. La vérité, c’est qu’elle est tellement anxieuse que c’était trop vite pour elle. Maman réagit mal aux surprises et d’une manière générale, à toute forme de changement. Avoir un nouveau gendre était un événement trop soudain pour elle.

Dans un monde idéal, James lui aurait été présenté comme un copain de Pascal, puis de Brigitte et, après quelques mois, de sa fille. Elle l’aurait rencontré quelquefois à Québec chez ma cousine et un jour, je l’aurais invité à la maison. Après un an ou deux, nous aurions annoncé que l’amitié avait cédé le pas à l’amour. Encore un an et maman aurait été prête pour un mariage, si possible stérile.Le mariage selon Adélaïde

Inutile de dire qu’elle a failli s’étouffer en apprenant que sa petite fille sortait avec un vieux. Dans sa tête, je crois qu’elle imaginait James comme Danny de Vito : chauve et bedonnant. Quand elle l’a rencontré, elle s’est entêtée à l’appeler « monsieur » toute la soirée, rien que pour m’énerver.

Mission réussie. Je reconnais que ce jour-là, Adélaïde a fait très fort. Je ne comprends pas pourquoi deux femmes qui s’aiment mettent autant d’énergie à s’exaspérer l’une l’autre.

Et puis doucement, le charme de James a opéré sur maman. Il offrait de débarrasser la table (alors qu’il ne lève pas le petit doigt chez ses parents), enlevait la pelle des mains de mon père et complimentait mamie sur ses cheveux. Je trouvais qu’il forçait la note, mais il avait raison puisque c’est à ce prix-là que ma mère s’est prise d’affection pour lui. Ils ne sont pas proches comme je peux l’être du grand-père de James, mais leur relation est chaleureuse.

J’avais peur que l’annonce de notre mariage plonge maman dans une autre de ses crises de panique, mais elle a plutôt évoqué la promesse du plus merveilleux été.Le plus merveilleux été

Si James et moi avions eu envie d’un mariage intime, on aurait été déçus. Je voulais une vraie noce et James était assez indifférent à la forme de la fête, alors on a donné carte blanche à maman. Elle a passé tout le printemps à envoyer des faire-part, préparer la décoration de la salle et faire des listes de menus. Grâce à Dieu, il n’y avait que trois mois pour tout organiser. Sinon, elle aurait sans doute rempli le Manoir Richelieu de fleurs et d’invités. Elle m’a aidée à choisir ma robe et m’a offert la plus belle : celle de Sissi.

Anne était sublime en blanc. Elle ressemblait à un ange.

Un ange

Pour nous remettre des émotions de ce mariage princier, on a fait un voyage de noces en Grèce. Deux semaines à parcourir les îles en vélo, à manger des souvlakis en buvant de l’ouzo et à se baigner dans les criques.

Un jour que nous nous faisions sécher au soleil après une baignade où j’avais joué les James Bond girl, j’ai demandé à James :

— Comment vois-tu la suite des choses ?

— On rentre à l’hôtel et après la sieste, on retourne manger dans le restaurant de lundi.

— Non, je voulais dire, pour la vie ? Maintenant qu’on est mariés, comment tu envisages l’avenir ?

— Anne… Tu ne te reposes jamais ?

Non jamais. Et du coup, moi non plus.

— J’ai l’impression d’avoir somnolé toute ma vie avant de te rencontrer. Maintenant, la dernière chose qui me fait envie, c’est de me reposer. On a toute la mort pour ça.

— Qu’est-ce que tu veux ?

— J’aimerais un bébé.

Aucune surprise ou hasard dans cette décision, rien qu’une intuition viscérale.

Un bébé

— Tu n’as même pas fini ton bac.

— Justement, on pourrait calculer nos affaires pour qu’il arrive à la fin. Je continuerais à dessiner en m’occupant de lui.

— Tu n’es pas un peu jeune ?

C’était L’Argument à ne pas invoquer. Anne ne supporte pas qu’on parle de son âge ou de sa grandeur. Ça la rend agressive à cause de la maturité qu’on y associe. Les gens pensent que sa jeunesse et sa petite taille font d’elle une enfant et ça la fait sortir de ses gonds. Je suis d’accord avec elle, c’est très énervant.

— Franchement ! À moins que tu ne sois trop vieux ?

—…

— Je veux avoir des enfants pendant que je suis jeune. Quand on attend trop, c’est compliqué. C’est difficile de tomber enceinte, c’est difficile de passer des nuits blanches, c’est difficile d’arrêter de travailler. Et les vieux qui ont des enfants capotent tout le temps, il faut toujours que ça soit parfait. À mon âge, on s’adapte plus facilement. Tu ne trouves pas ?

— Laisse-moi y penser. On ne va pas décider ça tout de suite, non ?James pense

James a réfléchi deux heures. À table, le soir même, il m’a annoncé qu’il était partant. J’avais calculé que pour accoucher en mai, on devait s’y mettre sur-le-champ et obtenir des résultats concluants. Mais ça n’a pas marché comme je le voulais.

Anne est vaniteuse ! Comme si elle pouvait décider ces choses-là !

J’ai dû attendre le mois de mars pour voir la ligne bleue. Je n’oublierai jamais ces mois d’angoisses et les larmes à la fin de chaque cycle. Je n’oublierai pas non plus la joie immense qu’on a ressentie quand ça a enfin marché. Une petite vie grandissait dans mon ventre. C’était magique.Trop grand

Côté santé, j’ai porté Agathe dans un état de béatitude. Je n’ai pas eu beaucoup de nausées et je n’ai presque pas vomi. Ma seule déception, c’est que j’ai dû attendre cinq mois avant que ma bedaine paraisse. Ma belle-mère chauffait la pédale de sa machine à coudre pour me faire des vêtements que je ne pouvais pas porter parce que tout était trop grand.

Par contre, j’ai dû me battre contre les préjugés. Les gens ne voyaient que mon âge — 22 ans. J’avais beau répéter que James avait 28 ans et qu’on était ensemble depuis deux ans, certaines personnes s’entêtaient à critiquer ce qu’ils considéraient comme une grossesse précipitée.

De telles remarques irritaient Anne au plus haut point. Elle se plaignait souvent à James :

— Il n’y a pas si longtemps, tout le monde aurait poussé un soupir de soulagement de me savoir enfin enceinte. Je ne comprends pas pourquoi aujourd’hui, c’est le contraire qui se passe. Qu’est-ce que ça nous donnerait d’attendre ? Lancer sa carrière avant sa famille, c’est une question de mode.

James avait un caractère plus pondéré qu’Anne.

— Laisse-les donc parler. Qu’est-ce que ça peut leur faire qu’on ait un bébé ? Ce n’est pas eux qui vont changer les couches.Le temps des couches

— Ce qui me dérange, c’est de ne pas être prise au sérieux.

— Ça va probablement être comme ça toute ta vie.

James ne montrait aucune condescendance. Anne était menue et elle avait l’air très jeune. Elle se faisait régulièrement demander ses papiers quand elle allait dans les bars ou qu’elle achetait du vin. Elle détestait ça. James voyait la chose autrement.

— Aujourd’hui, tu n’aimes pas ça, mais quand tu auras 40 ans, tu seras contente d’en paraître 25.

— Qu’est-ce qui te dit que je ne serai pas grosse ou ridée ?

— Pourquoi pas aveugle et édentée ?

Anne finissait par donner raison à James. Puis elle entendait un nouveau commentaire et elle remontait sur ses grands chevaux.

Je crois qu’elle souffre du syndrome du chihuahua. Elle compense sa petitesse en jappant comme un doberman.Le chien

Cela dit, l’arrivée d’Agathe a surtout fait des heureux : James, qui rêvait d’une fille et ses parents, pour la même raison. La famille McNeil voyait enfin le cycle des garçons prendre fin après quatre générations de petits mâles. Papa et maman étaient contents, ce qui m’a étonnée puisqu’ils n’ont pas voulu d’autre enfant après moi. Je suppose que les choses sont différentes pour les petits-enfants.

On a eu beaucoup de mal à choisir un prénom. J’aimais les antiquités comme Stella ou Edgar. James aussi, mais en version édulcorée. Il voyait des classiques comme Marie ou Antoine. Je n’étais pas d’accord du tout. Bien sûr, ce sont des prénoms qui ont de la barbe, mais trop d’enfants les ont portés.

Encore, une fois, c’est grandpa Henry qui a trouvé. Il a eu l’idée en regardant les Pierrafeu pendant qu’il dînait. Il a sauté sur le téléphone et a dit à James :

— Elle est cute la petite Agathe à Fred.

J’adore cet homme. James lui ressemble beaucoup et je pense qu’il lui ressemblera encore plus en vieillissant.

James a raccroché et n’a prononcé qu’un mot :

— Agathe.

J’ai répondu, comme illuminée :

— Agathe !

Notre fille était nommée. Restait à trouver un nom de garçon. Je n’étais pas très impliquée dans le processus : j’étais convaincue que je portais une fille. Pourquoi ? Parce que. C’est une chose qui ne s’explique pas.Enfin trois


2 réflexions sur “Les anges sont vaniteux – chapitre 60

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s