Les anges sont vaniteux – chapitre 19

Samedi 9 août

Aujourd’hui, ça fait dix ans que j’ai vu James pour la première fois. À l’époque, je sortais avec Joël et James était avec une greluche. On était côte à côte au camping de Pointe-Taillon : je sais qu’on a passé la soirée au bord du feu, mais je n’ai pas de réels souvenirs de lui ou de ces vacances.

Côte à côte

Ah Joël ! Un vrai personnage de soap américain ! Des cheveux blonds, des yeux bleus et des pectoraux d’anthologie. Loin de se rendre compte de sa beauté, il s’habillait comme la chienne à Jacques, et comme il passait le plus clair de son temps à travailler sur la ferme de son père, il avait toujours de la terre jusque derrière les oreilles. Son histoire avec Anne dura deux ans, mais semblait remonter au déluge tant elle était ennuyante. Le seul événement marquant ? Leur rupture après que Joël ait découvert qu’une de ses collègues jouait divinement bien « Jeux interdits » à la guitare. Anne crut qu’elle allait mourir d’humiliation. Être rejetée au profit d’une Tracy Chapman de poche, franchement.

Adélaïde avait tellement peur que sa fille tombe en dépression qu’elle la poussa chez un psychologue. Anne y alla plus par curiosité que par besoin. J’étais enchanté. Pour une fois, elle allait réfléchir un peu à sa vie.

Elle ne regretta pas le déplacement : après deux séances, elle avait déjà réalisé qu’elle avait une peur panique de l’ennui et qu’il serait stupide de pleurer Joël puisqu’il était l’icône du bâillement. Je suis resté sur ma faim. J’aurais aimé qu’Anne prenne l’habitude d’analyser les choses au lieu de se servir de sa tête uniquement pour défoncer les portes.

Au mois de février, je me suis inscrite à une fin de semaine de ski de fond à Cap-Tourmente. James y était aussi. Cette fois-là, nous étions célibataires tous les deux. D’abord, je ne l’ai pas reconnu. Il faut dire qu’une tuque cachait ses cheveux roux.

C’était simple, limite vexant pour mon talent. Une pincée de flocon d’ange et le tour était joué.

Quand il l’a enlevée, ça a fait tilt, comme si ma télé noir et blanc venait de passer à la HD d’un seul coup. J’ai laissé échapper un rire de nunuche. James m’a regardée et a répondu :

— Moi aussi.

Trop facile

Je sais bien que c’est facile à dire aujourd’hui, mais c’est la réalité : on venait de tomber amoureux fous. On restait à la traîne du groupe et quand on rentrait au chalet, on passait la soirée à se raconter notre vie en ricanant bêtement. Les dortoirs séparés nous ont imposé l’abstinence la plus érogène du monde et à part quelques baisers, nous sommes restés sages. Mais dès notre retour à Québec, nous avons filé à l’appartement de James et nous n’en sommes ressortis que trois jours plus tard.

Si simple!

Je n’ai jamais rencontré quelqu’un de plus attachant que James. Je ne sais pas comment il s’y prend, mais quand il me regarde, j’ai l’impression d’être indispensable à la survie de l’espèce. C’est un charmeur né, comme Grandpa Henry. Par contre, il est différent pour ce qui est de la conversation. Alors que Grandpa Henry semble avoir un quota de mots limité, James est un moulin à paroles. Comme il est très drôle, les anecdotes banales deviennent des histoires désopilantes.

Personne ne pourrait mieux me convenir : il déborde d’imagination et la vie à ses côtés est pleine de rebondissements. Pour notre première sortie, il m’a invitée à aller jouer aux petites quilles dans Limoilou. Le lendemain, il m’a offert une trompette du Carnaval en guise de bouquet de fleurs. Je l’ai toujours (même si je la cache soigneusement aux enfants). Avec James, je touche du doigt le paradis.

L'amour, toujours l'amour

Faut pas pousser!

Quoi ? Je beurre épais ? Mouais, peut-être. Mais si on veut qu’une histoire soit intéressante, il faut l’exagérer un peu, non ? C’est James qui m’a appris ça.

Bien sûr, le temps a raboté leur relation. Ils ont dû apprendre à vivre avec les blessures et les rancœurs mutuelles — James reproche à Anne d’être possessive tandis qu’elle lui en veut de travailler autant —, mais l’amour reste là. Après toutes ces années, le cœur d’Anne fait toujours une pirouette agréable lorsque son homme rentre à la maison et il craque encore en voyant la queue de cheval de sa femme se balancer dans son cou.

Toujours amoureux


2 réflexions sur “Les anges sont vaniteux – chapitre 19

  1. « … le cœur d’Anne fait toujours une pirouette agréable lorsque son homme rentre à la maison… » Très beau ce chapitre! Bravo!

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