Cette histoire de tableau

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Cette nuit, le premier dessin figuratif de ma fille est tombé du mur. Il y était depuis 12 ou 13 ans et il n’avait jamais montré la moindre envie de quitter sa place. Jamais de glissement, de soupir, de plainte. J’en étais presque arrivée à ne plus le voir. Peut-être s’est-il senti délaissé?

Je l’ai entendu tomber. Un tout petit ploc de carton contre le bois du plancher. Ça m’a intriguée. Quand je l’ai trouvé à mes pieds, ça m’a fait penser à Novecento d’Alessandro Baricco, un des plus beau monologue du monde. Un petit bijou qui se dévore en quelques heures. Voyez par vous même :

« C’est là, à ce moment-là que le tableau se décrocha.

Moi, cette histoire de tableaux, ça m’a toujours fait une drôle d’impression.

Ils restent accrochés pendant des années et tout à coup, sans que rien se soit passé, j’ai bien dit rien, vlam, ils tombent. Ils sont là accrochés à leur clou, personne ne leur fait rien, et eux, à un moment donné, vlam, ils tombent, comme des pierres. Dans le silence le plus total, sans rien qui bouge autour, pas une mouche qui vole, et eux : vlam. Sans la moindre raison. Pourquoi à ce moment-là et pas à un autre? On ne sait pas. Vlam.

Qu’est-ce qui est arrivé à ce clou pour que tout à coup il décide qu’il n’en peut plus? Aurait-il donc une âme, lui aussi, le pauvre malheureux? Peut-il décider quelque chose? Ça faisait longtemps qu’ils en parlaient, le tableau et lui, ils hésitaient encore un peu, ils en discutaient tous les soirs, depuis des années, et puis finalement ils se sont décidés pour une date, une heure, une minute, une seconde, maintenant, vlam. Ou alors ils le savaient depuis le début, tous les deux, ils avaient tout combiné entre eux, bon t’oublie pas que dans sept ans je lâche tout, t’inquiète pas, pour moi c’est bon, alors d’accord pour le 13 mai, d’accord, vers six heures, ah j’aimerais mieux six heures moins le quart, d’accord, allez bonne nuit, bonne nuit. Sept ans plus tard, le 13 mai, six heures moins le quart : vlam. Incompréhensible. C’est une de ces choses, il faut pas trop y penser, sinon tu sors de là, t’es fou. Quand le tableau se décroche. Quand tu te réveilles un matin à côté d’elle et que tu ne l’aimes plus. Quand tu ouvres le journal et tu lis que la guerre a éclaté. Quand tu vois un train et tu te dis “je me tire”. Quand tu te regardes dans la glace et tu comprends que tu es vieux. »

Soleil


10 réflexions sur “Cette histoire de tableau

  1. Ce qui m’a amené ici, c’est cette bougie qui a décidé de se suicider dans mon bain.

    J’avais un vague souvenir de Baricco qui en parle. Merci de l’avoir immortalisé sur les internets, je crois bien que j’ai envie de le relire maintenant 🙂

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  2. C’est comme quand tu regardes les enfants, même si ce ne sont pas les nôtres… Tu les regardes, mais tu ne les vois pas grandir. Puis un jour, tu te réveilles et tu te dis: « Wow, déjà la maternelle, déjà le bal de graduation, déjà… » Le temps passe vite et nous échappe. Mais parfois, il peut nous rappeler qu’il faut prendre le temps d’en profiter!!!

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  3. Ou, encore: « Quand tu te réveilles un matin à côté d’elle et que tu l’aimes encore plus. Quand tu ouvres le journal et tu lis que la guerre est finie. Quand tu vois un train et tu te dis “je vais voyager”. Quand tu te regardes dans la glace et tu comprends que tu as encore beaucoup à vivre! »

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