La rentrée

Mon fils a commencé le secondaire ce matin. Contrairement au jour où il a terminé la garderie et à celui où ma fille a commencé le secondaire, j’ai réussi à ne pas éclater en sanglot. Il faut dire que j’étais tellement nerveuse que je n’aurais pas eu l’énergie de pleurer en plus.

Poutche à crayons

C’est que l’autobus scolaire n’est pas passé, contrairement à ce qui était écrit dans la liasse de documents que j’ai reçu par la poste et que j’ai passé une journée entière à lire, annoter, remplir et (accessoirement) essayer de comprendre. Comme je ne travaillais pas, j’ai pu prendre mon enfant extra-nerveux sous le bras et le déposer sans un baiser humiliant, sur le perron de l’église (oups, je veux dire de l’école).

Ça m’a rappelé l’entrée à l’école de mon aînée, il y a 9 ans. En version homéopathique, par contre.

Autobus scolaires

À l’époque, j’étais tellement scandalisée par l’organisation bordélique de l’école, que j’avais écrit une nouvelle expiatoire. Je l’avais postée aux prix littéraires de Radio-Canada  et j’avais eu la surprise d’être finaliste. Il devait y avoir un parent excédé sur le jury.

Je publie ici ce texte en précisant qu’il est en tout point conforme à la réalité. Je n’ai même pas changé les noms ou les dates.

La rentrée

À part la naissance de mes enfants et mon mariage princier, je vis le moment le plus excitant de ma vie. Ma fille s’apprête à quitter le monde duveteux de la petite enfance pour entrer dans la vie active. En septembre, elle commence la maternelle!

Une de mes amies qui est éducatrice au service de garde de l’école en attendant de devenir pompière – deux métiers où on éteint les feux – a essayé de freiner ma joie. Elle m’a assuré que la rentrée des classes, c’était toujours l’enfer. Je l’ai écoutée d’une oreille distraite en la plaignant d’avoir perdu la magie de son cœur d’enfant.

Je l’avoue, je me crois à l’abri d’une panique maternelle. Je n’ai aucun doute que la folie qui s’empare des autres parents ne m’atteindra jamais. Je reconnais humblement que je suis au-dessus de la mêlée.

Je profite de l’été pour me préparer à la grande fête de l’automne. Alors que mes amies prennent des bains de soleil et que mes petits s’amusent dans les jeux d’eau de la garderie, je passe mes journées au sous-sol à taper du pied sur la pédale de ma machine à coudre. Ma production de vêtements rose et mauve va bon train, les pièces de velours côtelé s’entassant jusque dans la lingerie de la salle de bain.

Le soir, avant d’aller au lit, je fais des heures supplémentaires. J’étudie Le lunch ensoleillé et La boîte à lunch pour les nuls comme si j’allais subir un examen diététique.

Lorsque je reçois les documents qui m’expliquent les modalités de la rentrée scolaire, je me sens comme une petite fille devant un sac bourré de friandises.

Ah, tiens, un dépliant sur la pédiculose : je n’ai jamais attrapé de poux, ma fille saura sûrement passer entre les balles. Un communiqué sur les vaccins : tout est en règle depuis longtemps. Un autre sur l’autobus scolaire : j’ai engendré des chats de gouttière qui n’ont pas le mal des transports. Comment rassurer son enfant à la veille de la rentrée : ne me concerne pas. Les règlements du service de garde : aucun problème non plus, je n’ai pas l’intention de faire de ma fille une kamikaze de l’arachide. Voilà enfin ce qui m’intéresse : l’horaire de la rentrée!

C’est une grande feuille imprimée recto verso avec une demi-douzaine de caractères différents. Une phrase se détache en grosses lettres : « Nous accueillerons votre enfant au pavillon du Bocage, le mardi 30 août à 8 h » Simple, clair, efficace. Je suis aux anges. Oups, en bas, il est précisé que (pour une raison mystérieuse) il n’y aura pas de transport scolaire le 30 août et que la collaboration des parents est requise.

Très bien. Je suis heureuse d’accompagner ma fille pour son premier jour d’école. Il est souhaitable que je serre la main de sa maîtresse. Son avenir dépend de cette transition heureuse. Le papa viendra aussi et nous vivrons ce grand moment en famille. Il ne faut surtout pas oublier l’appareil photo.

Voyons voir de l’autre côté de la feuille : « voici comment se déroulera la rentrée progressive de votre enfant. » Progressive? Ma fille passe dix heures par jour à la garderie depuis qu’elle a deux ans. Notre cordon ombilical est rompu depuis longtemps et nous vivons très bien ainsi. La directrice veut peut-être ménager les quelques mutants qui n’ont pas quitté leur maman pendant les cinq premières années de leur vie. Je hausse les épaules avec sollicitude. C’est important de respecter l’ensemble du groupe.

Je suis curieuse d’apprendre ce qu’est une « rentrée progressive. » Réponse : 8 h à 10 h pendant deux jours. En effet, c’est très progressif. Je ne sais pas comment je vais expliquer à ma fille qu’elle n’aura pas droit à plus de deux heures de classe par jour. Heureusement, elle reviendra en autobus dès le deuxième jour et j’espère que le trajet la consolera un peu.

Oh non! Il n’y a pas de service de retour avant le troisième jour. Ce jour-là, elle aura enfin sa première matinée complète. De 8 h à 11 h 18. Ai-je bien lu? 18? Les professeurs sont-ils syndiqués à ce point -là? Elle aura ensuite trois jours de congé pour la fin de semaine de la fête du Travail, deux autres demi-journées puis l’horaire régulier entrera en vigueur. Celui-ci comprendra, en plus des avant-midi, les après-midi de 12 h 50 à 14 h 16. Là, il y a un astérisque : ne pas oublier que cette première journée régulière tombe un mercredi et que ce jour-là, les enfants du préscolaire n’ont jamais d’école l’après-midi. Ça devient confus, je me concentre. Après calcul, j’arrive à la conclusion que ma fille ne commencera véritablement l’école que dix jours après la rentrée.

Je ne sais plus trop à quel moment je devrai prendre la traditionnelle photo de la rentrée. Je ferme les yeux et inspire profondément. Il est indispensable que je conserve une attitude positive. Je ne dois pas perdre de vue que c’est un moment heureux de nos vies. J’ai fréquenté l’université pendant dix ans, je devrais survivre à l’entrée à maternelle de mon enfant.

Mardi matin 30 août, le sac à dos de ma fille déborde de crayons identifiés et de vêtements d’éducation physique sur lesquels j’ai brodé son nom au point de croix (j’ai passé de belles soirées d’été à réaliser ce projet d’aiguille). Le papa et moi sommes à l’école avec l’appareil photo. Nous discutons avec les autres parents pendant que les enfants nouent des alliances. Notre fille est attribuée à Josée. Elle a l’air gentille, nous sommes rassurés.

Je rentre à la maison, range la vaisselle, fais une brassée de blanc et, déjà, il est temps de retourner chercher ma petite puce. Elle est contente de me voir arriver, mais elle est un peu déçue : « C’était court! » Je la console en lui disant que demain matin elle ira à l’école en autobus scolaire. C’est suffisant pour ensoleiller sa journée.

La maîtresse me dit qu’il faut un sac en tissus identifié pour les vêtements d’éducation physique.

–     Ce n’était pas sur la liste.

–     Ah bon, voilà pourquoi la moitié des parents n’en a pas apporté.

Ma machine à coudre n’est pas encore rangée et grâce aux travaux d’aiguille de l’été, je suis rendue assez rapide au point de croix. J’en ferai un cet après-midi.

Le lendemain, il pleut à torrents. À l’arrêt d’autobus, nous nous entassons sous un grand parapluie, le père, la mère, la grande sœur et le petit frère. Pendant deux jours, nous serons les seuls à fréquenter cet arrêt pour le service du matin. Cette intimité me réjouit, mais je me demande comment nous pourrons prendre une jolie photo avec toute cette eau qui tombe du ciel. Il ne faudrait pas endommager l’appareil. Il pourrait encore servir.

Nous attendons patiemment sur le pavé de madame Guèvremont. Cette charmante voisine travaille à la mairie. Quand elle sort pour se rendre au travail, elle nous adresse un « bonne chance » qui m’inquiète un peu.

–     Hier, des chauffeurs sont venus chercher des plans. Ils ne sont pas d’ici et ne connaissent pas le village.

L’humidité, l’impatience de ma fille et la mise en garde affectueuse de ma voisine commencent à effriter mon optimisme. J’ai peur de tomber sur un chauffeur myope incapable d’apercevoir la robe à froufrous rose de ma petite.

L’attente dure une bonne demi-heure. Nous habitons une courte rue en pente qui nous permet de voir le ballet des autobus qui circulent en haut et en bas. Aucun ne s’engage dans notre direction. La tension monte entre les deux petits tandis que le climat se dégrade entre les deux grands.

À huit heures, la nervosité est à son comble. Le papa prend les deux enfants dégoulinant sous le bras, les charge dans la voiture et part faire la tournée garderie-école. Notre fille pleure à chaudes larmes et ses parents sont d’une humeur massacrante. Je suis presque soulagée de n’avoir pris aucune photo.

Un peu plus tard, le papa m’appelle pour me donner des nouvelles. Notre chauffeur, n’ayant pas cru bon de vérifier son parcours la veille, est arrivé à l’école très en retard, et ce, en ayant oublié beaucoup d’arrêts (dixit la secrétaire pleine de compassion qui informe la foule de parents révoltés.) Je dois raccrocher, il est déjà 9 h 45 et il est temps d’aller chercher ma petite. J’espère qu’elle aura eu le temps de sécher.

La maîtresse me dit que c’est à moi de fournir une collation pour l’avant-midi. Depuis deux jours, elle donne une pomme à ma fille et il est temps que je prenne le relais. Je n’avais pas pensé qu’entre 8 h et 10 h il était indispensable qu’elle mange. Mais ce n’est pas bien grave puisque cette étape de la rentrée progressive est terminée. Demain, elle ira à l’école jusqu’à 11 h 18. Ce sera le moment de vérité : mes lectures de l’été seront mises à contribution. Je piaffe d’impatience à l’idée de préparer des collations nutritives.

L’après-midi, en parlant avec ma voisine Agnès, j’apprends que son fils – qui a commencé l’école avec deux jours de retard parce que la directrice lui a donné une place puis la lui a retirée puis la lui a finalement redonnée – a dû remonter la rue à pied, à 11 h 30 la vieille, parce que le chauffeur l’avait laissé en bas. Il ne savait pas qu’il y avait un arrêt devant notre maison.

Le troisième jour, nous retournons attendre l’autobus en famille. Cette fois, le soleil est au rendez-vous et nous affichons des mines réjouies. Je crois de nouveau au grand potentiel du système scolaire québécois. Quant au chauffeur, il doit maintenant connaître son itinéraire et il se réjouit sûrement de rencontrer ma fille.

À l’heure prévue, il passe en haut de notre rue, ralentit (probablement pour nous narguer), puis continue son chemin. Le papa hurle toutes les injures qu’il connaît en français, en québécois et en alsacien (c’est sa langue maternelle). Notre fille éclate en sanglots une fois de plus.

–     Je veux prendre l’autobus! dit-elle en hoquetant.

Pendant ce temps, le gentil-chauffeur fait le tour par l’avenue parallèle et revient en bas prendre des enfants plus chanceux. Je me précipite au milieu de la rue en faisant de grands signes de bras. Il me voit et comprend que s’il ne vient pas prendre ma fille, personne ne le fera. Il s’engage dans notre direction tandis que nous courons de l’autre côté de la rue.

Nous prenons finalement notre fichue photo. Notre fille pose devant l’autobus avec un sourire triste noyé de larmes. Elle aura du mal à faire croire à ses enfants qu’étant petite, elle se réjouissait de commencer l’école. Le papa monte à bord et dit au chauffeur sur un ton menaçant :

–     Vous me la ramenez ICI ce midi.

Très zen, le chauffeur lui répond :

–     Ah bon?

Je vois les veines du cou de mon mari se gonfler lorsque le chauffeur rajoute, affable :

–     C’est comme vous voulez.

Je prends le papa par le bras, le sort de l’autobus et nous faisons de beaux bye bye à notre fille qui se mouche.

Je pense que nous sommes sortis de la bergerie, mais le quatrième matin notre chauffeur-ennemi-de-la-routine passe avec sept minutes d’avance. Ma fille, qui a le nez collé à la fenêtre depuis 7 h 15 pour voir si les amis arrivent, hurle : « Il est là », et sort en courant. Le papa attrape le sac à dos et le manteau et part à sa suite. Pendant que je téléphone à Agnès pour la prévenir que le chauffeur attend son fils, je vois les parents de la petite Maude courir avec leur fille sous le bras.

Le papa monte une fois de plus dans l’autobus :

–     Vous êtes en avance ce matin.

–     Oui, un peu, mais ça va toujours ressembler à ça…

(Aparté : je me demande bien comment on peut être toujours en avance. Il me semble que ça s’appelle changer l’heure.)

Après quelques minutes à attendre le petit voisin, toutes lumières clignotantes allumées (quelques automobilistes trépignent d’impatience), monsieur-initiative se range sur le côté, éteint ses feux et attend que le retardataire monte à bord.

Tout le monde est dans l’autobus, en pleine forme, en santé et relativement en sécurité.

Je rentre à la maison et me prépare un chocolat chaud. J’ai l’impression d’avoir couru un marathon. Ma petite chérie a quitté mes jupes pour vivre sa vie de grande fille. Je dois maintenant trouver de nouvelles occupations pour combler mes journées. Mais je ne suis pas inquiète, je sais que de nouveaux défis m’attendent. Mardi, ma fille commence à fréquenter le service de gardeMéditation

 


12 réflexions sur “La rentrée

  1. Pauvre C. Heureusement, elle ne se souvient pas trop de tout ça, comme tu as écrit… Ah, ici au Brésil, quelques écoles privées pratiquent cette rentrée progressive!

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  2. Bravo Julie, moi je me souviens très bien de ma première demi journée de maternelle et ma mère n’a rien eu à faire dans tout ca. Je n’en reviens pas comment les parents d’aujourd’hui veulent à tout prix vivre la vie de leurs enfants. Quel genre de génération ca va donner????? Mais j’avoue que moi aussi je me présentais avec mes filles pour leur entrée scolaire mais à leur demande. Ha! Oui, j’oubliais, je suis même allée à la rencontre de parents du cegep de ma plus vieille parce qu’elle voulait nous avoir avec elle mais oups! les organisateurs du cegep ont séparé les étudiants des parents HA!Ha! Continu ton beau travail ma belle xxxxx

    Nathalie St-Pierre

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    1. Tu as raison : c’était pas mal moins compliqué dans notre temps. Étais-tu dans la classe de Monette ou dans celle de Grace? C’est tellement loin que mes souvenirs ont jaunis comme nos photos! Merci pour ton commentaires. Je suis contente de t’avoir comme lectrice.

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  3. Julie, j’ai beaucoup aimé ce texte qui a débuté une belle discussion entre moi et ma fille sur les souvenirs de son entrée à la maternelle en août 2000. Je suis très surprise d’apprendre qu’elle n’a aucun souvenir de cette journée aussi magique et mémorable ( pour les parents ,finalement, je crois , hi!hi!). Elle constate plutôt son entrée en regardant les photos. De mon côté à part manifestement le sentiment que tu décris si bien, je dois ajouter que lors de cette journée, j’avais été très surprise de constater que tous les enfants étaient déjà en classe avec leur professeur après la superbe activé ( découvrir l’identité de son professeur en retrouvant quel professeur détenait le symbole tant chéri reçu par la poste depuis plusieurs jours ) que plusieurs parents demeuraient dans la cours de l’école à attendre quoi, je sais pas trop finalement !!!hi!hi!

    Bonne fin de journée !

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    1. Oh, ça c’est vraiment très gênant! Mais quel potentiel humoristique : tu pourras raconter ça aux partys de Noël jusqu’à ta mort! Ma fille est comme la tienne : elle se souvient à peine de sa rentrée à la maternelle. Si je ne l’avais pas écrite, je ne suis même pas sûre que je m’en rappellerais moi-même. Pourtant, je te jure qu’absolument tout est vrai!

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  4. Julie, vraiment tordant ton texte. J’adore! Je le lisais et je me croyais l’héroïne. Ça me fait penser a ma vie a moi. C’est fou comment les systèmes scolaires rendent les choses compliquées non?

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    1. Allo Natacha, je suis bien contente que tu te sois reconnue dans mon texte, mais un peu inquiète que tu aies vécu la même chose. J’espérais être la seule à avoir vécu une rentrée aussi traumatisante! Beaux becs
      à toi et aux tiens.

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  5. OUF! Je suis prof de maternelle et je t’assure que mes parents sont pas mal plus informés pour le début d’année scolaire. C’est mieux que cette affreuse rentrée progressive que ta fille et toi avez vécue.

    Une gaspésienne que tu connais
    Kathleen Cotton

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